mardi 28 avril 2009

1815

Comme les émigrés de Talleyrand, les acteurs des marchés financiers n'ont "rien appris, rien oublié".
Il y a de fortes chances que la période qui s'ouvre soit comme le fut la Restauration, un succédané acrimonieux de la belle époque d'Ancien régime. A quand le milliard des émigrés? Mais à quand la révolution de 1830?

Pour ceux qui ont encore des illusions sur l'influence des bonnes idées et des belles âmes sur les réalités politiques: à lire de toute urgence les Mémoires du Diable Boiteux - notamment la façon magistrale dont il a sauvé les intérêts de la France au Congrès de Vienne (un G20 avant l'heure!).
Tant que ce genre d'instance en restera aux paroles verbales, rien de profond ne changera.


Cela dit,je ne suis pas d'accord avec les conclusions des anticapitalistes sur le sujet (par exemple:http://orderic.unblog.fr/2008/10/31/crise-financiere-rien-appris-rien-oublie/). D'une part, l'esprit de compétition, de risque et d'enrichissement sont des données de la nature humain, sub lunae, fondamentalement motrices. D'autres part, les alternatives sont pires: despotisme eclairé et hypocrite, égalitarisme dictatorial, collectivisme désabusé (tragedy of the common). Pour paraphraser Churchill, le capitalisme est le pire système à l'exclusion de tous les autres.

Ce qu'il faut comprendre, c'est ce qui a causé la dérive hyperfinancière du capitalisme, cette combinaison d'hyperendettement, et de recherche de rendements historiquement inédits - pour se donner les moyens d'une régulation qui évite les conséquences imprévues et indésirables de toute ingénierie sociale.
Pour prendre un exemple concret, la rémunération des acteurs des marché financiers doit être analysée sous le prisme de la rémunération globale de l'industrie financière. Il est après tout normal que les stakeholders de cette industrie s'en soient partagés les fruits, comme l'aurait fait les actionnaires, dirigeants et salariés de toute industrie rencontrant le succès. Ce qu'il faut questionner c'est le poids que l'industrie financière a pris dans la rémunération de l'intermédiation.

lundi 27 avril 2009

petite théorie portative

Les mouvements de fond donc, comme une tectonique des plaques, quand la démographie se conjugue avec l'évolution culturelle.

Une hypothèse en l'air: l'histoire des 40/50 dernières années est l'histoire des baby-boomers: ce sont eux qui ont poussé les murs en mai 68 pour fêter leurs 20 ans - et qui se sont payés, en France, un dernier accès de romantisme avec le Changer la Vie de 1981, dans un climat mondial d'aboutissement ultime du grand mouvement tocquevillien de démocratisation (cf Gilles Lipovetski, l'Ere du Vide, si ma mémoire est bonne).

A partir de 1979/1981, le mood de la génération change: il ne s'agit plus de se dépenser ou même de dépenser, mais d'accumuler. Il faut donc que l'avenir ait un prix, et que l'épargne rapporte. Au même moment, entre sa nomination en août 1979 et 1981, P. Volcker a carte blanche pour casser l'inflation et instaurer une politique de taux d'intérêt positifs. La politique financière des 25 années suivantes est une combinaison d'interêts réels positifs, mais assez bon marché pour ce qui est de l'argent à court terme, et d'inflation des actifs (à partir de 1987). La génération des baby boomers accumule, mais à partir d'un effort d'épargne limité, démultiplié par un endettement sans cesse accru, des actifs au prix sans cesse plus élevé, avec des exigences de rendements long terme forcément de plus en plus irréalistes; c'est ce cocktail léthal qui a provoqué la crise actuelle. Ce n'est pas complètement par hasard que la crise a commencé de se déclencher dans les mois qui ont suivi le départ à la retraite des premiers baby boomers - c'est à dire le début de la phase de désaccumulation des actifs agrégés (on n'ose dire épargnés) depuis leur entrée dans la vie active.

Ce n'est pas le seul mouvement, il faudra y revenir et mettre en balance les puissants mouvements d'épargne des pays émergents, en particulier asiatique.

Il faudra aussi revenir sur cette idée: une société à un moment donné se fixe un taux d'interêt unique, directeur, qui est le produit de l'appréciation portée sur l'avenir par les forces dominantes de cette société.

Ce n'est que si ce niveau fondamental se modifie que nous aurons affaire à un véritable déluge - ou à un simple typhon.

dimanche 26 avril 2009

La crise économique actuelle est sans conteste d'une ampleur telle qu'il faut remonter à la crise de 29 pour en trouver l'équivalent. Cette réflexion guide l'action des gouvernements qui tachent de ne pas commettre à nouveau les mêmes erreurs: laisser la défiance s'installer, laisser la demande effective s'écrouler, laisser la masse monétaire se retracter et le système bancaire se bloquer faute de liquidités. C'est le film très clair des derniers mois, et nous en verrons les résultats immédiats dans les mois qui viennent. Comme à la roulette, la boule tourne encore et ne s'est pas encore arrêtée. Pour ceux qui pensent que la fin de crise est en vue, l'éditorial lucide de The Economist cette semaine. http://www.economist.com/opinion/displaystory.cfm?story_id=13527685.

Mais quelles sont les autres grandes leçons de la crise de 1929?Quelques idées (parmi d'autres, à suggérer):
- la crise n'a pas arrêté le progrès des techniques. Le transport aérien a continué de se développer, malgré telle ou telle faillite. La radio a pris son essor. Le cinéma ne s'est pas arrêté de parler (et ces années, comme toutes années de crise, guerres comprises, ont été des années florissantes pour les industries de divertissement). Application 2009: l'Internet et les technologies nomade vont continuer sur leur lancée. La composante technique qui a permis la mondialisation ne va pas s'affaiblir.
- certains pays ne se sont pas remis de la crise de 1929. On pense à l'Argentine d'alors, peut-être à la Chine. Les déséquilibres économiques et sociaux ont entraîner des changements politiques et sociaux pratiquement irréversibles - notamment faute d'avoir développer un marché intérieur et une bourgeoisie autocentrée (pour reprendre un mot qui n'est plus guère à la mode!).
- la crise a détruit des démocraties et favorisé le fascisme sous toutes ses formes. On peut même argumenter en faveur d'une république de Weimar qui se serait défendu contre ses ennemis de l'intérieur sans l'effondrement économique. La situation actuelle des pays d'Europe Centrale et Orientale peut inquiéter sur ce plan.

- la crise a permis le triomphe complet de doctrines anti-libérales, et la mise en place de politiques centrées autour de l'Etat. Les penseurs libéraux se sont retrouvés durablement sur les marges, avant que quelques prophétes n'élèvent leur voix dans le désert de l'après guerre (B de Jouvenel, Du Pouvoir, 1945; Hayek, the Road to serfdom, 1944; Friedman, Capitalism and Freedom, 1962).

- la crise a vu le triomphe de l'intervention de l'Etat, et de manière générale, le renforcement des grandes organisations, étatiques, partis politiques, syndicats de masses, grandes entreprises. La sortie de crise apparemment plus rapide des économies dirigées et collectivistes (URSS, Allemagne nazie, Italie) avait accru encore la légitimité de cette démarche, ringardisant un peu plus le libéralisme classique.
L'intervention de l'Etat se comprend en 2009, comme aujourd'hui, en raison de sa triple fonction monétaire, régalienne (de regulation) et budgétaire (de façon à agir sur la demande). On peut avoir plus de doutes sur le retour en grace des grandes organisations.

Mais attention tout de même à l'erreur de perspective: ces évolutions n'ont pas été déterminées par la crise, qui les a surtout amplifiées. Le rôle renforcé de l'Etat vient de la Première guerre mondiale, le renforcement des grandes entreprises de l'évolution des techniques ("fordisme") tout comme sa contrepartie syndicale et politique. La crise de 1929 a été un moment particulièrement critique de l'émergence de la société industrielle productiviste moderne, fondée sur la consommation de masse, actionnée par la publicité et permise par les (relativement ) hauts salaires (complétée par le Welfare state en Europe tout du moins).
C'est la crise de croissance de ce système et sa réforme interne qui sous-tend la crise de 29 et explique la profondeur des changements qu'elle parait engendrer et qu'elle ne fait que consacrer.

La vraie question est donc de savoir si la crise actuelle est elle aussi une crise structurelle: une crise dont les causes s'enracine dans les ressorts profonds de nos sociétés et dont la sortie ne se fera que par une modification réelle d'une partie des élements qui l'ont provoquée. Si ce n'est pas le cas, le déluge n'aura été qu'un mauvais typhon, un peu plus fort que les autres: laissant le paysage désolé mais fondamentalement inchangé.
Tout le reste n'est que paroles verbales et wishful thinking...

apres le deluge

Deux icones de David Lachapelle: auguries of innocence et deluge. Pas de commentaires sur le style, un kitsch discutable au service d'une critique sociale très convenue. Mais deux images fortes de ce que nous vivons en ce moment, ou, tout du moins, de ce que nous
croyons vivre. Est ce l'effondrement d'un monde décadent, effroyable de dorure et de bling bling?
http://www.dandies.fr/le-deluge-vu-par-david-lachapelle

Vivons nous un déluge refondateur? Que restera-t-il de ce monde après le déluge?

Permettez moi d'être sceptique!

lundi 20 avril 2009

Premier post sur ce blog au titre hésitant mais dont l'intention est claire: refléchir à haute voix sur la crise que nous traversons en proposant cette reflexion à la critique et au débat.
La crise est multiforme mais à la crise du monde réel répond une crise de la pensée: on est effaré par l'indigence des commentaires.
Plus précisement: l'intelligence des analyses renvoie trop souvent à une grande pauvreté des conclusions. La faillite d'un certain capitalisme financier est un lieu commun - mais quelle indigence dans les réponses envisagées! Le mythe des marchés omniscients n'est abandonné que pour retrouver les vieilles lunes d'un Etat tout aussi omniscient - omnipotent et infaillible qui plus est.
Ce n'est pas en changeant de mythes que le monde se réformera. Tant que nous en resterons aux voeux pieux, la réalité reviendra au galop, dans un grand retour du refoulé. Partis comme nous le sommes, il y a beaucoup à parier que 2010 oubliera 2008 et que le déluge n'aura été tout compte fait qu'une parenthèse désagréable. "meet the new boss - same as the old boss" comme auraient dit les Who ("won"t get fooled again": une vieille histoire pour ceux qui ne s'en souviendrait pas le lien youtube http://www.youtube.com/watch?v=Rp6-wG5LLqE).