samedi 17 octobre 2009

Un regard clinique

On n'échappe pas à la réflexion suscitée par les suicides chez France Telecom, les Notes du Déluge pas plus que d'autres. Mais autant que le phénomènec'est à la nature de la réflexion qu'il faut s'attacher. Il est difficile de le comprendre, le monde qui nous entoure. J'insiste brièvement sur ce verbe: comprendre, avec sa signification d'appréhender en totalité, embrasser intimement, au-delà de l'apparence. Comprendre, c'est avoir de l'empathie pour son sujet, reconnaître que l'on n'en est pas complètement séparé, mais c'est utiliser cette proximité pour en obtenir une connaissance plus totale, plus synthétique, moins analytique. Bref, c'est à une approche plus phénoménologique qu'il faudrait recourir.
Très modestement, je voudrais tracer plusieurs pistes dans cet esprit.
Face à un phénomène aussi tragique que le suicide, il faut accepter de substituer la statistique à l'émotion. C'est la grande leçon du vieux Durkheim. En l'occurrence, peut-être faut-il rappeler que le taux de suicide en France est de 36/100 000 (très élevé par rapport à la moyenne occidentale). Si les effectifs de France Telecom sont de 106 000, le nombre de suicide "normal" sur les 9 premiers mois de l'année serait un peu plus de 28 - or le dernier drame n'était "que" le 25ème. Bien sur il faut ajuster statistiquement (voir la polémique dans le Monde - qui reflète aussi notre incapacité à réfléchir sereinement http://www.lemonde.fr/societe/article/2009/10/22/comparer-les-suicides-chez-france-telecom-et-dans-le-reste-de-la-population-n-a-pas-de-sens_1257598_3224.html).
Il faut également intégrer les notions du temps et de l'espace. Dans son livre par ailleurs fort pertinent (Le stress au Travail, O. Jacob, 2001), P. Légeron écrit "tous les indicateurs sont au rouge (...) le stress au travail atteint des niveaux inégalés", en citant une ou deux études qui indiquent un niveau absolu et non une évolution: mais que sait-on des niveaux de stress en 1969, en 1979 etc. Pour en revenir à France Télecom, je tombe sur un tableau (http://fr.wikipedia.org/wiki/France_T%C3%A9l%C3%A9com#Les_effectifs) qui indique assez clairement que le taux de suicide à France Télecom en 2009 est inférieur à celui du début des années 2000, ce qui l'amène un peu en dessous de la moyenne des entreprises françaises. Je n'en conclus rien, si ce n'est la prudence quant aux affirmations à l'emporte-pièce et aux causalités à la mode.
Il n'en demeure pas moins que le suicide au travail est un signe, forcément lié au contexte de l'entreprise et que les dirigeants doivent prendre au sérieux, on y reviendra. Peut-être la polémique est-elle un autre signe, un symptôme plus parlant.
Plus loin, P.Légeron mentionnent que les Français n'ont pas un niveau de stress très différents de celui des Anglo-Saxons, malgré un temps de travail plus réduit: on aimerait en savoir plus. Le rapport au travail et les rapports dans le travail sont très marqués par les contextes culturels, quiconque a travaillé à l'étranger le sait bien. Les réalités sont bien différentes des a priori, comme me le faisait remarquer une collègue irlandaise, ayant travaillé en France, et maintenant basée à New-York, frappée qu'elle était par la mentalité très différente des Américains au travail; par exemple, leur coté très fonctionnaire....
Le problème de ce genre d'écrit est de reposer sur des observations individuelles, reliées entre elle par l'expérience de l'observateur. Ce regard clinique est précieux, car dépourvu de jugement tout en étant compréhensif. Mais il risque trop souvent de tomber dans l'anecdotal, pour ne pas dire l'anecdotique.
Il faudrait pourtant bien se lancer. Essayer de comprendre si le monde a changé, comment, pourquoi. Essayer de tester l'intuition (massivement partagée! trop!) d'un changement profond de notre rapport au travail, et donc au monde lui-même, tant le travail définit l'homme moderne - peut-être en creusant l'intuition inverse: étudier ce qui n'a pas changé! Essayer de trouver les statistiques vraiment parlantes, les comparaisons interculturelles vraiment éclairantes, identifier une dynamique historique ancrée dans le réel et non dans l'anecdote et l'idéologie.

Das reim von des gemeinschatiges Gutes (sur un air de Kurt Weill)

L'Intérêt général existe-t-il?
Si l'Intérêt général existe (pas sûr), qui peut le connaître avec certitude ?
Si l'Intérêt est connue de manière claire et distincte, l'Etat peut-il le connaître sans biais (politique)?
Si l'Etat comprend l'Intérêt général, peut-il mettre au point une action à son service dont il connaîtra toutes les conséquences, dans un monde complexe où les acteurs vont réagir par rapport aux actions entreprises et aux règles établies de manière difficile à prévoir entièrement?
Si l'Etat comprend l'Intérêt général et la manière de l'obtenir, peut-il élaborer une politique juste, dégagée des intérêts particuliers?

Voilà pourquoi, quand on fait une équivalence entre l'existence d'un domaine public et la justification de l'intervention de l'Etat, je suis sceptique. Comme Brecht?

(pour nos lecteurs germanophones...)

Le Vélib a le Nobel, et les sushis aussi!

Les lecteurs (où sont ils passés?) des Notes du Déluge l'auront peut-être remarqué: je suis revenu plusieurs fois sur la tragedy of the commons (voir post du 10 octobre, du 24 septembre, et autres plus anciens). Les jurés de la Banque de Suède ne m'avaient pas consulté, mais ce n'est tout de même pas par hasard qu'ils ont décerné de prix d'économie en l'honneur d'A Nobel (distinction chère à NN Taieb) à Elinor Olstrom pour ses travaux sur le sujet. Je renvoie à la revue e The Economist pour plus de détail, mais en voici les points les plus importants: "standard economic model predicts that in the absence of clear property rights such common resources will be overexploited (voir le Velib!). By studying over 40 years, Ms Ostrom found that people often devise rather sophisticated systems of governance to ensure that this resources are not overused (un bon exemple tiré du Japon de l'époque d'Edo dans Collapse, de J. Diamond). In particular, she found that self governance often worked better than an ill-informed government taking over and imposing sometimes clumsy and often ineffective rules." Food for thought, indeed. Toujours cette idée difficile à admettre en France que le bien public ne justifie pas forcément l'intervention de l'Etat.
http://www.economist.com/businessfinance/economicsfocus/displaystory.cfm?story_id=14638409#page-content

samedi 10 octobre 2009

Le dilemme du Velib'

Pour ceux que mes allusions à la tragedy of the commons n'auraient pas suffisamment éclairé, je vous propose le satori à bicyclette.
Ce moment d'illumination survient après une recherche désespérée de velib disponible, quand celui dont on s'empare s'avère inutilisable. Quel bonheur pourtant d'avoir un moyen de circulation à portée de main, sans entretien, sans stockage, sans immobilisation du capital - pour un coût égal ou inférieur de celui des transports publics "en commun". La mutualisation des coûts fixes est une libération intelligente.
C'est la liberté sans propriété - mais c'est là où çà coince: si personne ne se sent propriétaire et ne veut assumer sa part des emmerdements... un velib sur deux est en panne et l'organisme en charge du service public (une entreprise privée concessionnaire) ne s'y retrouve pas. Dans le cas précis, on ne connaît pas vraiment l'équilibre économique du Velib' (ce qui est déjà un signal d'alerte) mais on suspecte fortement que JC Decaux ne s'y retrouve que parce qu'il a pu emporter un autre contrat sur un autre marché qui -en pure théorie - n'a rien à voir avec le transport public. C'est une externalité positive, mais en bon français, on ne paye pas le coût réel du service: pas étonnant que le bon public ne s'y retrouve.
Ce n'est pas d'ailleurs autrement que les grands réseaux ont été construit: le chemin de fer en accordant aux robber barons et autres Rothsch
ild la possibilité de spéculer outrancièrement sur les terrains voisinant ainsi revalorisés.
Chasser la propriété en rêvant de gratuité, elle revient au galop sous forme de spéculation et de corruption!