samedi 6 février 2010

L'école de la République et le GI Bill

Tâchons de réfléchir un peu à l'histoire des Grandes Ecoles. Il faut prendre le problème à la racine, la notion même de talent. Peu importe le point de départ philosophique, la croyance en l'inné ou en l'acquis.
Si le talent est inné, il doit être réparti de manière aléatoire parmi les 816 500 enfants qui sont nés en France l'année dernière. Il est donc évident qu'il faut se débrouiller pour qu'ils reçoivent la meilleure éducation possible - soit en ratissant très large, soit en tachant de les cibler là où ils se trouvent.
Si le talent est acquis, s'il naît au sein de familles qui le transmette, la morale démocratique inviterait à séparer les enfants de leurs géniteurs pour améliorer l'égalité des chances. C'est tout le sens donné à l'Education nationale, depuis Jules Ferry et surtout depuis 1945 (plan Langevin Wallon), consistant à détacher les enfants de leur parents, de sorte que ces derniers ne puissent faire pencher la balance - c'est le complot Bourbaki des maths modernes, puis, plus récemment, la réforme de l'enseignement de la grammaire etc. Cette voie est absurde car il s'agit essentiellement d'un nivellement par le bas. Mais il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain: dans la compétition internationale du troisième millénaire, la proportion de gens talentueux et bien formés est plus déterminante que la détention de ressources naturelles, on le sait bien. Il est donc tout à fait logique du point de vue de l'efficacité économique de chercher à élargir la base de talents au delà des familles les plus favorisées. C'est l'inspiration du GI Bill, l'une des clés de la prospérité américaine des années 50/60 selon P. Drucker (possibilité offerte aux GI revenant de la guerre de reprendre des études, d'avoir des prêts à taux zéros pour se loger ou démarrer un business, ainsi qu'une option d'assurance chômage pendant un an - cette dernière disposition n'étant pas utilisée en pratique!).
Dans la polémique actuelle, la vraie discussion n'est donc pas de savoir s'il faut aider les jeunes talents, mais pourquoi et comment. Il y a certes un côté désespéré à s'attaquer au problème au dernier moment, celui de l'enseignement supérieur, comme si les maillons précédents n'avaient pas fait leur boulot. Mais ce n'est pas une raison pour que les Grandes Ecoles ne fassent pas leur boulot, qui est de continuer à éduquer et développer leurs élèves: il s'agirait de ne plus se reposer uniquement sur la sélectivité du concours mais faire en sorte que l'enseignement développe (autrement dit: éduque, fasse son travail!) réellement les heureux admis!
N'a-t-on pas tendance à confondre excellence et élitisme, élitisme et malthusianisme. Il est tout de même étonnant qu'avec une telle progression des bacheliers, le nombre d'élus dans les grandes Ecoles n'a quasiment pas varié en 25 ans. On est passé de 60 000 en 1960 à 500 000, mais il n'y a toujours que quelques centaines dignes d'entrer à l'X ou HEC. Et on peut conjecturer que l'origine sociale des reçus n'a pas du varier beaucoup entre temps, avec une sureprésentation des enfants d'enseignants et de "bourgeois".
Ce qui laisse rêveur: le principal moteur de la réussite dans le monde contemporain et dans l'entreprise en particulier me parait être la faim, l'envie constante de se prouver. Est-ce parmi les héritiers que la faim est la plus partagée? Prépare-t-on une société à affronter la compétition internationale en édifiant des remparts infranchissables autour de ses élites?

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