Avec l'été reviennent les polémiques sur les gros salaires, notamment dans la finance, nourries par le retour aux gros bonus et leur garantie. On observera avec curiosité les tentatives de réforme ou d'encadrement! Sur ce sujet particulier, la réalité me semble pourtant assez simple: il est normal que dans une industrie de main-d'oeuvre comme la finance les hommes se partagent une part importante de la marge dégagée, selon une clé ou une autre, cela n'a pas beaucoup d'importance en fin de compte.
Il faudrait mieux s'interroger sur la hauteur et la nature de cette marge à répartir. En dernière analyse, la marge de l'industrie financière (ses profits plus les rémunérations variables de ses acteurs) représente le coût de financement de l'économie mondiale. En situation de marchés efficients, elle devrait être très réduite; elle ne trouve sa source que dans l'innovation et la rémunération du risque. Réduire le risque pris par l'économie (par exemple en durcissant les règles prudentielles) devrait limiter cette marge, et par voie de conséquence, maîtriser la part de rémunérations qu'elle autorise aujourd'hui. Je n'ai plus le chiffre exact en tête, mais il me semble que la part des profits (après bonus, donc) de l'industrie financière dans le total des profits du CAC 40 ou du DOW JONES a plus que doublé en 20 ans. C'est cela qui n'est pas "normal".
Reste l'autre partie de la polémique: l'importance des hauts salaires et le creusement des inégalités. C'est un fait bien documenté, commun à l'ensemble des pays de l'OCDE, dont les salaires de la finance n'est qu'une composante. Au-delà de ce constat, je suis frappé par le caractère très normatif des analyses (peut-être parce que ce chapitre de la science économique est plutôt l'apanage des économistes de gauche). J'ai lu récemment dans un ouvrage sérieux que "la crise rend impossible la prolongation sans changement de la tendance des 20 dernières années" (JM Charpin, in Fin de Monde ou Sortie de Crise, 2009). On attend de voir...
Au-delà des formules moralisatrices à deux balles, une vraie réflexion sur les niveaux de salaires et les inégalités qui en découlent n'est pas si aisée. Quel est le rapport souhaitable entre hauts et bas salaires dans une entreprise? A partir de quel niveau absolu une rémunération deviendrait "anormale"?
L'échelle des salaires est déterminée par l'abondance de travail mondial vers le bas, et par la comparaison avec les rémunérations des entrepreneurs et des "talents" (sportifs etc.) vers le haut. C'est le double effet de la mondialisation. L'ouvrier français le moins qualifié se compare à l'ouvrier chinois, tandis que son patron se retrouve à Davos avec Bono ou G. Soros.
Sur la longue période, la situation actuelle des inégalités doit probablement se comparer à la situation prévalant à la fin de la précédente mondialisation, juste avant la Guerre de 14. Dans une certaine mesure, la période relativement égalitaire 1945/1985 ferait figure d'exception, liée notamment à une relative fermeture des frontières. Pouvoir plus grand de l'Etat à l'intérieur des frontières assez closes, (d'où une meilleure efficacité fiscale, notamment), prévalence de l'idéologie sociale démocrate, comparaisons sociales plus limitées, faiblesse des marchés financiers dans un contexte d'inflation, de nombreux facteurs ont contribué à réduire les écarts.
Je ne suis pas sur que les conditions soient présentes pour qu'une phase similaire s'enclenche, d'où un certain scepticisme à l'égard des commentaires. Reste à savoir quelle sera la dynamique politique autour de ce problème. Car nous sommes dans la situation paradoxale de sociétés tout de même assez démocratiques, surinformées, et donc peu disposées à accepter l'inégalité ostentatoire. Les Américains ont cru avoir trouvé une résolution en donnant au plus grand nombre l'illusion de la richesse: une maison à crédit et il ne suffisait plus que de regarder Martha Stewart pour partager le lifestyle des privilégiés. Attali le serine: pour lui c'est l'absence de politique de revenus, et la substitution illusoire d'une bulle immobilière, qui est à la source de la crise actuelle. La classe moyenne se réveille avec la gueule de bois.
Une piste cependant dans la réflexion: un des ressorts de la motivation reste la possibilité réelle d'une ascension sociale. Le sentiment que la classe supérieure partage plus ou moins le même style de vie est également determinante. Cela se joue sans doute à l'échelle de l'entreprise, aussi, ce qui implique que les écarts entre les niveaux hiérarchiques les plus proches soient raisonnables, qu'ils ne créent pas une différence de "monde" mais au contraire paraissent suffisamment proches pour rester attractifs et motivants. On parle d'une différence de 50% à 75% entre deux niveaux hiérarchiques. Dans une entreprise moderne, avec 6 niveaux hiérarchiques (c'est déjà beaucoup), cela donne un ratio compris entre 11 et 30 fois le salaire de base pour le dirigeant le mieux payé.
Dans les faits, nous sommes très au delà. Une progression arithmétique (chaque manager gagne deux fois ce que gagnent ses subordonnés) reflètent mieux la réalité des grandes entreprises. Pour un salaire de base à 14 mois de SMIC, la rémunération du "grand patron" se situerait à 1,2 millions, c'est à dire 64 fois plus. Or ce niveau "théorique" ne correspond pas au niveau réellement observé: le haut de la pyramide se fait avec des multiples bien supérieurs qui traduisent un fort écart entre les rémunérations médianes -un dirigeant de groupe industriel gagnerait 20 fois ce que gagnent ses patrons d'usine (qui eux-mêmes gagnent 5.5 à 8 fois le SMIC, avant impôts et transferts sociaux!). Dans une société démocratique, cet état de fait me parait difficilement soutenable.
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