lundi 17 août 2009

Matrix: petit essai de philosophie politique

Merci de prendre le mot essai au sérieux: on tache d'y voir un peu plus clair dans le fatras de réflexion sur la crise et plus précisément sur le modèle politico-économique qui "doit" nous en sortir. Je mets le "devoir entre guillemets car nous sommes abreuvés de wishful thinking - de rêve d'un retour de l'Etat qui serait soudain justifié par la gravité du Déluge qui s'est abattu sur nous.
On se sent ballotté, inconfortable: aucune des positions classiques ne paraît vraiment raisonnable. le marché a montré ses limites, mais on ne va pas pour autant jeter le bébé libéral avec l'eau du bain... A y réfléchir, une partie de cet inconfort vient du caractère trop simpliste, binaire, des oppositions.


Il y a en fait un couple d'oppositions qui dessinent des positions politiques fondamentales (philosophiques):
- ceux (1) qui croient en la possibilité d'un équilibre essentiel (ordre, entropie) de la société et ceux (2) qui pensent que le mouvement propre de la société humaine engendre un perpétuel déséquilibre (désordre, vie);
- ceux qui croient en la possibilité d'agir sur la société en fonction d'objectifs ou de valeurs absolues ( a) et ceux qui sont sceptiques sur la possibilité de dégager de telles normes ou de pouvoir intervenir efficacement pour les mettre en oeuvre (b).

De cette matrice on tire 4 positions, que je vais simplifier/caricaturer pour y revenir après:

- 1b: les tenants de marché et de l'autorégulation qui voient toutes les tares de l'Etat, mais aucune de celles du marché. Ce sont les libéraux version Wall Street Journal qui reconnaissent l'existence des cycles mais les tiennent pour des mouvements de balanciers, des corrections souhaitables ramenant le monde dans le droit chemin de l'équilibre optimum
- 1a: les dévots d'une société parfaite, organisée par les soins d'un Etat juste, omniscient et omnipotent; les communistes y ont rêvé, mais je pense que ce rêve n'a pas disparu chez les Verts ou chez les besancenoïdes...
-2a: ceux, si nombreux en parole, qui pensent que les déséquilibres de la société doivent et peuvent être corrigées par l'intervention de l'Etat; on va parler de Socio-démocrates, pour aller vite.
- 2b: ceux qui reconnaissent l'instabilité des mécanismes sociaux et le désordre qui en découle, mais qui sont sceptiques sur la capacité d' y remédier efficacement, durablement, et profondément. On les qualifierait de Conservateurs, mais ils ne pensent pas forcément que le passé soit supérieur à l'avenir ni que le temps guérisse toutes les blessures.

Sur la première opposition: je ne pense pas que la société, dans sa composante économique en particulier, puisse s'ancrer à un état d'équilibre, pour plusieurs raisons dont:

- la critique fondamentale des marchés financiers, sur lesquels les prix ne sont pas des prix déterminés par l'offre et la demande - sans parler de toutes les critiques savantes sur les problèmes d'efficience et d'information. Il y a intrinsèquement un déséquilibre spéculatif à l'oeuvre dans les marchés financiers. C'est d'ailleurs la motivation essentielle de ses acteurs!
- une raison qui tient au caractère vivant des systèmes en jeu. Même si l'on admet que les systèmes reviennent à l'équilibre après une perturbation, il faut un certain temps pendant lequel les systèmes inter connectés peuvent eux mêmes se trouver perturbés, et les acteurs eux-mêmes ne jamais retrouver l'équilibre. Le temps des marchés est immatériel, transparent, mécanique; celui du réel est thermodynamique, vivant, épais, historique.
-les arguments de type keynésien: il n'y a aucune raison pour que les grandes composantes de l'économie trouvent spontanément un équilibre satisfaisant, de "plein-emploi". Les motivations de l'épargne et celles de l'investissement obéissent à des ressorts psychologiques, sociologiques et historiques différents et le taux d'intérêt n'est pas un prix d'équilibre.
- les arguments de type schumpétérien: la nature humaine porte en elle la volonté d'innover, d'entrer en compétition. L'entrepreneur ne peut pas se satisfaire du statu quo et veut rompre l'équilibre. C'est également le noeud de la critique des approches socialistes utopiques: toute formule qui barre la concurrence et l'innovation la transfère sur d'autres champs d'action.

Est-ce pour autant qu'il soit possible de réguler cette instabilité? Sans doute oui, mais pas de manière globale, durable et externe ("hétéronome"). Il est de bon ton d'en appeler au rôle renouvelé de l'Etat pour sortir de la crise, mais n'oublions les fondamentaux de la critique de l'Etat:
1. L'Etat n'échappe pas à la critique générale des organisations. L'Etat n'est pas une instance transcendantale touchée par la grâce (même le Vatican...), mais une bureaucratie composée d'hommes et de femmes jouant leur propre jeu dans un système complexe de motivations et de contraintes.
2.De ce point de vue, l'Etat n'est pas "juste", il n'est pas au dessus des parties, il est partie prenante de la société.
3. L'Etat n'est pas omniscient: même de bonne volonté, il peut se tromper comme n'importe quel acteur. L'Etat ne détiendrait l'intérêt général que s'il était sûr de l'identifier avec certitude, ce qui ne peut pas être le cas.
4. L'Etat n'est pas omnipotent. Non seulement son action ne peut se dérouler que dans son périmètre national, mais même dans ce cadre, la machinerie sociale est tellement complexe qu'une intervention a forcément des conséquences imprévues - ne serait-ce que du fait du jeu des acteurs sociaux en réaction de celui de l'Etat - et la politique prudente consiste à minimiser cet imprévu.

On pourra se demander que conclure de cette double critique: une société fondamentale instable qui ne trouve pas de salut dans la régulation étatique? C'est sur cette note qu'on s'arrêtera: un programme de réflexion pour les Notes de Déluge à venir.

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