samedi 20 juin 2009

Apocalypse, Part I


M S, de Garches, me demande gentiment ce que je pense du livre d'Hervé Juvin, "Produire le Monde" (cité dans mon post du 16 mai).

Je m'y risque: Hervé Juvin fait un tableau proprement apocalyptique du monde tel qu'il va, énumérant les composantes de ce qu'il appelle la "perte infinie": épuisement de la nature (les poissons, l'air, l'eau, l'espace, la distance, le monde à l'état de nature etc. C'est saisissant, car on trouve rassemblé dans cette diatribe, tout ce que l'on lit et que l'on sait sur le sujet. En deux mots: alors que le monde nous était donné, comme le cadre de notre existence humaine, l'homme l'a transformé, dénaturé, de tel sorte que le monde est devenu un produit de l'action humaine.
D'où un grand renversement: celui de l'"inversion des raretés, c'est à dire la surabondance prévisible des savoirs, des compétences et des envies, confronté à la rareté (...) du monde" (p. 73). Tout ceci nous conduit sur le chemin de l'Apocalypse: perte du sens de la mesure "no limit"; perte de la différence (Deleuze est cité, cf mon post précédent) et de la différenciation dans une uniformisation terrible, porteuse d'appauvrissement et de ressentiment de la part de ceux que l'on dépouille de leur identité pour leur en affubler une autre sans réel épanouissement à la clé. Juvin évoque la seconde mondialisation comme une deuxième colonisation, tout aussi destructrice, et prédit le retour de la puissance, c'est à dire, en clair, le retur de la guerre dans la résolution des conflits planétaires.


Je m'en tiens pour aujourd'hui à l'analyse (les deux premières parties du livre) - et cette diatribe est par moment très convaincante, tout à fait impressionnante. On ne peut que partager le sentiment d'assister à un changement rapide, accéléré depuis 20 ans, et d'une liquidation du passé et du futur au profit de l'instant présent. Elle force à réfléchir, ce dont on ne peut que se féliciter dans les Notes du déluge! On reviendra sur toutes ces thématiques.
Il s'agit d'une approche de type proprement Malthusienne (l'abondance des hommes conduisant à la crise du fait des ressources forcément limitées de la nature). Elle appelle donc la réponse classique: l'ingéniosité des hommes et le progrès technique ont toujours sorti l'humanité de cette contradiction -souvenons nous que Malthus écrivait il y a plus de 200 ans! Les prophètes de catastrophe ont toujours été démenti, tout simplement parfois parce qu'ils ont été écoutés. La dernière grande prise de conscience, celle des années 60, de Futuribles, du flower power et du Club de Rome, a débouché sur les premières grandes lois de protection de l'environnement. Le débat peut donc se reformuler ainsi: pourrons nous surmonter la prochaine crise par le progrés technique, sans doute accompagné d'une nouvelle temperance, ou bien l'ingéniosité humaine n'a-t-elle fait que reculer l'échéance? Nous serions maintenant au pied du mur, forcés de revoir radicalement notre approche.

Il me semble qu'il s'agit d'un faux dilemme et que l'on confond plusieurs plans:
- l'épuisement des ressources naturelles non vivantes et les problématiques liées notamment à la pollution, pour lesquelles je suis convaincu que le progrés techniques apportera une réponse dans le cadre d'une économie de marché prenant un peu mieux en compte les externalités.
- la mise en danger des espèces vivantes, de tout ce qui est soumis au second principe de thermodynamique, qui va a une allure vertigineuse et qui représente un vrai appauvrissement irréversible (cf des livres comme Cod, de Kurlanski, ou Collapse, de J. Diamond).
- le changement culturel qui depuis que le monde est monde, disons la révolution néolithique, a fait appraitre, disparaitre, se metisser les civilisations, dans une élégie infinie.

Juvin est, lui, en plein dans la confusion (tout du moins dans ces phases d'analyse, les conclusions qu'il en tire et que je traiterai dans un prochain post sont sur un autre registre, passionnant). Tout est mélangé pour produire ce discours d'apocalypse, et, disons le, d'apocalypse désirée. Il a notamment des pages à la limite scandaleuses sur "les droits de l'homme comme arme de destruction massive "et contre la démocratie libérale.
Le récit de Juvin n'est pas celui que l'on lit en première analyse. L'homme vivait au Paradis, avant l'Histoire, avant le péché originel - d'où ses références constantes à des peuples d'avant l'histoire, à Madagascar ou en Indonésie, ainsi qu'aux penseurs de la société contre l'Etat. L'Homme a commis le péché de vouloir prendre possession de la nature, et l'homme occidental moderne en est particulièrement responsable. Il a entraîné dans sa folie un certain nombre de peuples asiatiques, et detruit les autres, physiquement ou culturellement, au travers des vagues successives de mondialisation. Il va en être bientôt puni dans cette Apocalypse annoncé, chatié d'avoir trop désiré, trop consommé, sans mesure.

Ce grand mouvement de haine de soi renvoie donc à un masochisme post-catholique, dans la mouvance de René Girard. Je cite pour aller vite l'article de Wikipedia sur ce dernier "D’autre part, le christianisme, à la suite du judaïsme, a désacralisé le monde rendant possible un rapport utilitaire à la nature. Davantage menacé par la résurgence de crises mimétiques à grande échelle, le monde contemporain est en même temps plus vite rattrapé par sa culpabilité et d’autre part a développé une telle puissance technique de destruction qu’il est condamné à la fois à de plus en plus de responsabilité et de moins en moins d’innocence". On est bien loin de Yann Arthus Bertrand....

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire