mercredi 27 mai 2009

keynes, schumpeter et les chinois

Mme B, de Paris 16eme nous ecrit: l"a crise que nous traversons n’a rien de financier mais est avant tout le naufrage d’un modèle industriel ou le partage capital/travail évoluant au détriment du travail . L’endettement a été le seul facteur de soutien au modèle de la consommation…. Relisons Schumpeter…. "

Sans vouloir entrer dans des débats d'expert, je ne suis pas sur que Schumpeter aurait été d'accord! La crise n'est pas schumpéterienne, car ce n'est pas une crise de l'offre, une crise du modèle de production. Nous n'avons pas affaire à un cycle d'investissement ou à l'effet disruptif d'une grappe d'innovations majeures (ce qui était bien plus le cas dans les années 90 avec la révolution du desktop). La grande révolution technologique actuelle, celle de l'Internet et de la mobilité n'a pas de lien direct avec le Déluge. S'il y a un lien c'est à travers de la mondialisation et de l'instantanéité de la communication qui a permis l'omniprésence et l'hyperefficience des
On est presque désolé de le dire, mais c'est une crise keynesienne, une affaire de propension à épargner et à consommer. Une crise du vieux monde, d'une civilisation fatiguée et jouisseuse. Keynes est un économiste blasé, esthète cambridgien, star de Bloomsbury. Il est le représentant de l'Angleterre édouardienne, fatiguée par un siècle de révolution industrielle. Comme son ancien amant Lytton Strachey, il prend plaisir à mettre la morale victorienne cul par dessus tête. Alors que depuis des siècles l'éthique protestante prônait l'épargne et la parcimonie, Keynes joue du paradoxe et blâme la parcimonie, responsable de la sous consommation. Pour lui, l'économie est toujours sur la corde raide entre excès d'épargne et excès d'investissement, sans qu'aucun deus ex machina (et surtout pas le marché ou les taux d'intérêt) n'en vienne garantir l'équilibre.
Schumpeter, lui, est un parvenu, produit d'une Europe centrale partagée entre sa volonté capitaliste d'entreprendre et de réussir et la sophistication MittelEuropa. L'écroulement de l'empire des Habsbourg sera son déluge à lui, nourrissant le meme type de pessimisme que son grand rival, mais c'est une autre histoire...
Notre déluge à nous est bien keynésien, c'est bien un problème d'épargne et de consommation, que la génération des 50/65 ans n'a pas su ou pas voulu gérer dans un immense aveuglement.
Il y a bien sur une clé supplémentaire - et là on peut convoquer Marx à la rescousse. Les revenus du travail ont été comprimé par le déploiement de l'immense armée de réserve chinoise. On se souvient que dans le Capital, Marx explique la pression à la baisse des salaires qui viennent s'aligner sur le minimum vital par l'existence d'une masse de travailleurs sans revenus prêts à concurrencer les ouvriers mieux avantagés: chômeurs, travailleurs saisonniers, paysans sans terre etc.
A l'échelle mondiale, nous vivons un phénomène similaire à l'exode rural du siècle dernier: les paysans chinois quittent la campagne pour venir travailler dans l'"usine du monde", maintenant de faibles coûts de production et tirant ainsi les revenus du travail à la baisse. Cette analyse est, bien entendu, unilatérale, car le pouvoir d'achat s'augmente partout de la baisse des prix et la réallocation mondiale des travailleurs se traduit par une hausse globale de la productivité. Mais l'importance de l'épargne chinoise montre bien que cette hausse de la productivité ne s'est pas communiqué fluidement au reste de l'économie.

Tant que les Chinois n'utiliseront pas leur épargne, tant que les Américains n'épargneront pas plus, tant que les Européens et les Japonais ne feront pas d'enfants (ou bien n'ouvriront pas grand les vannes de l'immigration) les grands déséquilibres qui ont créé les conditions de la crise ne diminueront pas.

Le pêché originel

Lu dans le Monde du weekend dernier dans la chronique du (très cool à en juger par la photo) P.A. Delhommais une analyse à première vue convaincante: "En 1920, une famille américaine moyenne affichait une épargne de 1 232 dollars (convertis en dollars 2008) et un endettement de 4 368 dollars, soit un ratio de 1 à 4. En 1960, ce ratio était de 7, de 11 en 1990, de 38 en 2000 et de 300 en 2008, soit seulement 392 dollars d'épargne pour 117 951 dollars de dettes. En dix ans, l'endettement des ménages américains a augmenté de 8 000 milliards de dollars, faisant plus que doubler, dont 6 000 pour les seuls emprunts immobiliers.
Ce n'est plus vivre au-dessus de ses moyens, c'est vivre indépendamment d'eux, déconnecté de toute réalité, vivre comme un millionnaire avec un salaire de smicard. Les raisons en sont connues : excès d'optimisme dans l'avenir, dans la réussite personnelle. Mais surtout des revenus comprimés par la concurrence des pays émergents et insuffisants pour pouvoir satisfaire un appétit de consommation aiguisé par une offre surabondante de produits. La crise des subprimes, c'est d'abord une défaite de l'abstinence et de la privation. Ne pas résister à la tentation de s'offrir le dernier iPod.
Si les Américains ont été des grands maîtres à dépenser et à s'endetter, les Irlandais, les Espagnols et les Britanniques n'ont eu, en Europe, pas grand-chose à leur envier. Ils en paient aujourd'hui le prix. Sans atteindre les mêmes excès, la France n'a pas été non plus un modèle de vertu. Fin 2008, l'endettement des ménages représentait 74,4 % de leur revenu disponible (10 points de plus qu'en 2005), celui des entreprises atteignant un record historique de 121,4 %.
La bulle mondiale de crédit fut elle-même gonflée par un coût du crédit excessivement faible, la boulimie d'emprunts encouragée par les politiques de taux extrêmement bas menées pendant des années par les grandes banques centrales, aux Etats-Unis, bien sûr, mais aussi au Japon, et même en Europe.
Voilà pour les causes : trop de dettes et des taux trop bas." (http://www.lemonde.fr/a-la-une/article/2009/05/23/soigner-le-mal-par-le-mal-par-pierre-antoine-delhommais_1197145_3208.html) .
Delhommais fait la critique du dernier livre de P. Artus qui tirait dejà une sonnette d'alarme en 2005, il faudra y revenir).
Mais à la réflexion, cette analyse manque plusieurs aspects cruciaux:
- la dérive de l'endettement est un phénomène de longue durée dont il faut rendre compte en tant que tel; il faut mesurer son accélération, son timing et ses causes.
- les revenus étaient ils "comprimés", ou bien mal repartis, ou encore en croissance limités en déphasage avec l'explosion du désir immédiat
- la politique de taux faible incriminée est peut-être un faux coupable, le fait historique majeur étant plutot la période de taux d'intérêt réel positif que nous avons vécue depuis 1980.

Je trouve plus éclairante (et "cassandresque") le simple rappel de théorie économique trouvé dans un livre récent de Jeffrey Sachs dans un contexte de reflexion sur le developpement durable (en l'occurence les ressources halieutiques): "if the value of the resource is likely to grow more slowly than the market rate of interest, the blaring market signal is to deplete the resource now and pocket the money! since the market rate depends ultimately on the saving decisions and preferences of the current generation alone, wihtou any voice of the future generations, the market rate of interest can give the signal to deplete the resource at the expense of future generations. When the current generation is impatient, that is, it place a high value on current consumption relative to future consumption, the market interest rate will tend to be high and the market signal transmitted to each individual resource owner will deplete the resources under the owner's control. In essence, there's a tyranny of the present of the future".
CQFD
PS du 2 juin: dans le Figaro Eco de ce jour Jean-Pierre Robin offre une analyse proche de ma petite théorie portative, qui semble s'insérer dans un courant de plus en plus large. J'y reviendrais.

lundi 25 mai 2009

Cassandra redux

Par hasard, je tombe sur une présentation faite par un camarade prévisionniste en 2006 (la date est importante). Lisez là, c'est hallucinant.
"Aucun facteur d’inflexion majeur en terme de politique économique ne vient infléchir les trends économiques observés depuis 2001. La situation économique mondiale continue de se dégrader par la désindustrialisation avec une compensation de l’activité économique productive moteur par une activité d’investissements sur des classes d’actifs financiers de plus en plus à risque (à l’instar de celle observée lors de la bulle Internet par exemple ce phénomène est particulièrement préoccupant aux USA).
L’économie américaine risque donc d’être soumise à risque monétaire, puis financier non régulée et à une Europe se « balkanisant » tant du fait de l’impossibilité d’un approfondissement de la coopération politique et économique que de « l’essoufflement » des économies et des orientations de ces membres majeurs (Allemagne et France). Ce phénomène devrait s’amplifier à partir du second semestre 2007 et atteindre un premier break down au cour du premier semestre 2008. En effet, les croissances dans les BRICS (Chine et Inde) fortes maintenant une consommation importante en produits pétroliers créeront une tension forte sur le prix du baril 120 US$ vs 30US$. Dans ce contexte, nous pouvons tabler sur un choc pétrolier en 2008. Ce choc créera dans un premier temps un facteur d’inflation puis le doublement par une crise financière du crédit viendra compenser à la baisse cette inflation.
En 2009 et 2010, l’économie mondiale sous l’effet dans un premier temps d’un choc pétrolier, puis d’une crise financière du crédit pourrait entrainer une récession mondiale forte. Seules, les classes le plus favorisées seront à l’abri de cette perturbation de forte ampleur d’où la nécessité pour mon client d’opérer un changement de clientèle en s'orientant vers les revenus disponibles les plus élevés"
On peut ne pas être d'accord avec toute cette analyse ou chipoter sur le fait que la crise actuelle n'est pas d'origine monétaire, mais quelle prescience!!
Le plus incroyable, c'est que cette présentation est l'oeuvre de quelqu'un bien introduit dans les milieux dirigeants, cabinets ministeriels et patrons du CAC 40.
En clair: qui voulait voir, savait.

dimanche 17 mai 2009

Henry Ford et les Chinois


Et si la crise était la crise du post fordisme?
On connait le concept: le fordisme est cette combinaison de production industrielle intensive, de hauts salaires et d'activation de la consommation qui a caractérisé les sociétés "développées" au XXème siècle. L'intensification de la production découlant du taylorisme et du progrès des techniques crée un risque de surproduction faute de débouchés solvables. C'est le génie d'Henry Ford d'avoir compris que ses ouvriers allaient être aussi ses clients, et que la Ford T accessible à tous devait s'accompagner de hauts salaires. La crise de 1929 doit se comprendre en grande part comme l'avénement du fordisme généralisé, et Keynes le théoricien de cette nouvelle ère. Le monde avait couru à sa perte faute de consommateurs solvables, il fallait y remedier par une politique de hauts salaires, de filets de protection sociaux et d'investissement étatique. Cette consommation doit être mobilisée par le marketing et la publicité. Keynes rompt avec 4 siècles d'éthique protestante (mais pas avec l'humour anticonformiste anglais!) en condamnant l'esprit d'épargne. L'économie du désir est plus que jamais au coeur du capitalisme.


Evolution du taux d'épargne des ménages américains


Le fordisme a grosso modo tenu le choc jusque dans les années 1970, moment à partir duquel il est entré en crise (la crise de l'Etat providence en étant l'un des aspects). Dans une certaine mesure, le monde est alors entré dans une nouvelle phase, celle du fordisme sous amphétamines. Face à une production sans cesse plus efficace, et à un désir consumériste toujours plus intense, comment soutenir la consommation? Comment permettre en même temps la consommationd'aujourd'hui et la consommation décalée, celle de la retraite des baby boomers? Il ne suffit plus de liquider l'épargne d'aujourd'hui, il faut hypothéquer celle de demain, vivre à crédit en s'endettant massivement, soit à l'égard du système bancaire (subprimes et cie), soit à l'égard des générations de demain (déficits publics, sous provisionnement des engagements de retraite), soit en mettant les entreprises en surrégime (LBOs, surémunérations).


L'histoire des 30 dernières années est donc celle d'un système qui lutte pour sa survie par une fuite en avant dans l'endettement.Il est d'ailleurs frappant de comparer l'effondrement de l'épargne des ménages (américains) et la stabilité de la répartition de la valeur ajoutée entre profit et salaires. Ce n'est pas la baisse (relative) des salaires qui est la cause de la crise, mais la substitution de l'endettement à la rémunération de l'activité dans le financement de l'expansion.


Partage de la valeur ajoutée en France


Mais il faut faire un zoom arrière et reprendre les grandes dates clé pour arriver à une compréhension plus globale.

On a déjà mentionné la première date: Eté 79, coup d'arrêt donné à l'inflation et démarrage de la grande inflation des actifs, taux d'interet positif et explosion de l'économie d'endettement (voir mon post "petite théorie portative", du 27 avril)

Deuxième date: 1980, Deng Xiao Ping (鄧小平) crée les Zones Economiques Spéciales et lance la course de la Chine vers l'expansion économique. En schématisant, des centaines de millions de paysans ont quitté leur emploi rural peu productif pour se diriger dans les usines - d'où un saut massif de la productivité mondiale assimilable aux fantastiques gains des usines Fordiennes. La Chine (et le reste de l'Asie) est devenu l'usine du monde - mais sans développer une demande interne à la hauteur de ce véritable Bond en Avant. Sourds aux sermons keynésiens, les Chinois ont globalement épargné leurs gains et ont financé leurs clients en leur prêtant à découvert. Le développement de la demande interne chinoise est clairement un des enjeux fondamentaux pour une sortie durable de la crise. Mais on pressent aussi que la dictature chinoise n'a pas nécessairement envie de voir se construire une classe moyenne sociale démocrate - il y a plutot une alliance objective entre le pouvoir et un patronat victorien (auquel les portes du Parti sont désormais ouverte).

Troisième date: 29 décembre 1989, le Nikkei atteint 38 957 et la bulle éclate. On le sait les années 90 sont celle de la lost decade pour les Japonais - je me souviens de l'impression physique que rien n'avait bougé depuis 10 ans quand je suis retourné au Japon en 2000. Une des causes de la bulle était l'excès de prêts non performants à des entreprises en réalité peu compétitives (cf André Gosselin http://www.finance-investissement.com/nouvelles/recherche/la-le-on-japonaise/a/nouvelles/recherche/la-lecon-japonaise/a/20558/print) . Pour "lutter" contre la crise, l'establishment japonais a d'abord agiter le drapeau keynésien, pratiqué un déficit abyssal, prodigué l'argent public largement détourné par les politiciens du PLD. Les taux d'intérêt réel sont tombés à zero, après quoi les vannes de la création monétaire (qualitative easing) ont été ouvertes, avec un série de reprises peu durables, et une grave rechute depuis septembre avec la destruction du carry trade.

En résumé, on a en Occident, une double demande d'actifs (pour la retraite) et de consommation immédiate. En Chine une surproduction productrice d'épargne, et au Japon une production de liquidités avec maintien d'une épargne élevée et des entreprises de moins en moins efficaces. C'est sans doute dans cette série de déséquilibres que la crise prend sa naissance.

samedi 16 mai 2009

La crise est bancaire

Propos entendus récemment: la crise est bancaire, elle se noue au coeur d'un des plus vieux métiers bancaires, le prêt immobilier.
Il n'est pas sans interêt de noter qu'il s'agit du prêt sur actifs, du prêt sur gage si l'on veut, adossant le remboursement à la valeur du bien financé. C'est l'essence du système anglo-saxon. Dans le système continental, la philosophie est differente (depuis au moins H. Germain, le fondateur de Crédit Lyonnais). Le prêt se fait sur escompte, c'est à dire sur l'activité réelle, le flux de revenu de l'emprunteur. L'un est plus conservateur, l'autre plus risqué puisque la valeur des actifs en garantie va fluctuer, notamment en fonction de la conjoncture - d'où un risque d'emballement.


Deuxième réflexion sur cette base, ce n'est pas le système financier lui-même, même dans son incroyable dérive de complexité, qui a fait faillite, mais bien le bon vieux crédit bancaire hypothécaire. On a prêté à des gens incapables de rembourses, en se voilant collectivement la face.
Ce ne sont pas les hedge funds qui ont causé la faillite, et leur repli se fait plutot en bon ordre. C'est d'ailleurs pour cela qu'ils sont prêts à revenir au premier plan.
Deux articles passionnants du Herald Tribune illustrent parfaitement ce point. D'un coté le gérant de hedge fund mettant fin à son activité, en raison des retraits de ses clients, mais en soulignant que son industrie a été relativement épargnée par le Déluge. One reason is that most hedge funds didn’t have the kind of 30-1 leverage ratios that the big banks had. Mr. Barsky’s fund, for instance, didn’t need much leverage to carry out his long-short strategy. But even if he had wanted to “lever up,” as they say, his prime broker — that is, the investment bank that did his back-office work — probably wouldn’t have let him.
In a wonderful irony, the banks and investment banks that were themselves drowning in debt were fearful of allowing their hedge fund clients to carry too much debt. They still remembered Long Term Capital Management, a hedge fund that a decade earlier had, indeed, brought the financial system to the brink because of its extreme leverage.
The second reason is that, while hedge fund managers could make extraordinary sums, they had far fewer incentives than Wall Street traders to take truly insane risks
(http://www.nytimes.com/2009/05/16/business/16nocera.html?ref=global).

Et ce commentaire rejoignant mon post du 28 avril (1815): The industry, he told me, “was part of this huge trend towards the celebration of wealth. Hedge fund managers overearned. It just became too easy. There has been a massive misallocation of human resources. I have so many smart guys here who were making seven figures. And I think it is a fair question to ask: what would they have been doing in 1948 — going into the foreign service? If Obama does anything, the best thing he could do is change a generation’s values.


De l'autre, un journaliste expérimenté tombé dans le panneau des subprimes relate le mécanisme qui l'a entrainé, et sa débacle financière personnelle.
http://www.nytimes.com/2009/05/17/magazine/17foreclosure-t.html?ref=economy.

D'où la dernière reflexion, venant d'Hervé Juvin, s'inspirant de René Girard: cette crise est la crise de l'économie du désir, celle qui pousse à s'endetter pour dépenser sans effort, au dela de ses moyens.

samedi 9 mai 2009

Histoires d'épargne

Si l'on poursuit l'intuition de ma "petite théorie portative" (voir post du 27 avril 2009), il faut regarder du côté des mouvements de l'épargne.

Jusqu'en 1945, l'avenir de chacun était assuré par sa descendance directe. L'espérance de vie étant réduite, la charge pesait modérement sur les épaules des enfants eux mêmes assez nombreux.
Première rupture avec les leçons tirées de la crise de 29 et l'extension du fordisme: il ne suffit pas d'assurer un salaire décent et stable (même en cas de chômage) au travailleur durant ses années actives, il faut lui assurer une vieillesse décente. Il sera donc pris en charge from craddle to grave, et son épargne sera gérée de manière intelligente, par l'Etat. Plutôt que d'être thésaurisée, elle sera mobilisée au service des investissements d'aujourd'hui qui financerons les pensions de demain. Plus que le marché et les financiers qui ont prouvé leur ineptie en nourissant la crise, c'est l'Etat, ses institutions financières para-publiques et les entreprises nationales qui assurent l'efficacité du circuit et l'équilibre présent-avenir.

Ce mécanisme s'est détraqué de son propre effet: il est en effet générateur d'inflation, à force de tirer un chèque sur l'avenir. Ajoutés à cela les désordres monétaires internationaux et les diverses guerres américaines, on a la Grande Inflation démarrant dans les années 60. D'autres facteurs ont contribué à la Crise de l'Etat Providence, à commencer par l'allongement de l'espérance de vie, et la réduction de la natalité qui perturbe fortement, on le sait, l'équilibre entre les cotisants et les bénéficiaires dans un système de retraite par répartition.
La crise n'est cependant pas limitée aux systèmes de répartition ou à l'Etat providence dans ses figures les plus emblématiques. Les USA sont touchés alors qu'ils ont beaucoup plus fait confiance aux marchés pour répondre à la même demande sociale de protection de la vieillesse.


Les fonds de pensions se sont donc construits pour préparer un transfert de l'épargne actuelle en revenu futur.
Cet objectif simple implique une transformation profonde: il faut que l'argent d'aujourd'hui soit au minimum préservé, c'est à dire que le taux d'intéret réel à long terme soit durablement positif. Dans la mesure où seule une partie du revenu actuel peut être épargnée, il est préférable que la rémunération de l'épargne soit suffisamment élevée pour assurer une retraite convenable, rémunération qui peut être fournie soit par des Etats (moins risqué, mais rendements médiocres), ou des entreprises (mais dont la rentabilité interne doit être très élevée pour permettre ces rendements), ou par l'accumulation de biens dont l'usage ou la cession financera la période inactive). Il y a donc à la fois une pression pour une rentabilité inédite des entreprises, et de manière plus générale à la "création de valeur" se traduisant par un accroissement des actifs, et à l'inflation des actifs.

La phase dans laquelle nous sommes rentrés est peut-être différente. Les classes les plus nombreuses arrivent à l'âge de la retraite. Elles peuvent normalement donc cesser d'épargner: elles ne cotisent plus (épargne publique), elles liquident leur patrimoine (en France, on dit bien "liquider sa retraite"), pour vivre leur vie ou faire des cadeaux autour d'eux. Le couple vend le grand appartement à Paris pour ne garder que la résidence secondaire, et acquiert un "pied à terre" - puis on vend le pied à terre pour financer la maison de retraite quand la mobilité disparait - tandis que la résidence secondaire est donnée aux enfants ou, plus souvent, aux petits-enfants.
Il y a donc, peut-être, l'amorce d'un mouvement de désepargne, et donc d'une pression à la baisse des actifs. En revanche, l'inflation restera l'ennemi en ce qui concerne les revenus.

Ce mouvement sera cependant insignifiant à l'échelle mondiale si l'accumulation vertigineuse des économies asiatiques ne s'interrompt pas. On a en effet assisté à un mouvement (je crois) sans équivalent dans l'histoire économique mondiale: la construction d'économie sortant de la pauvreté mais dégageant tout de meme des volumes d'épargne considérable. Il faudra y revenir. On ajoute, pour mémoire, l'énorme apport d'épargne venant des pays sans économie propre détenteurs de matières premières.

En résumé: si le premier mouvement, qui concerne les sociétés occidentales, et qui compte autant du point de vue psychologique et politique qu'économique ne détermine pas un renversement de tendance, et si les deux autres (épargne asiatique, prix assez élevés des matières premières) ne s'affaiblissent pas, eh bien le monde tel que nous l'avons connu dans les dernières années ne changera pas. Le poids des marchés financiers (et donc les excès qui s'y attachent) ne changera pas parce le monde continuera d'en avoir le même besoin.

OPEN WAGER

10 contre 1 que le monde de 2010 ressemblera comme un jumeau au monde de 2006? Guettez la Colombe de l'Arche. Vous pouvez aussi aller sur des blogs tel que celui-ci:http://seekingalpha.com/article/97216-snapshots-of-the-hong-kong-bank-run

dimanche 3 mai 2009

QUESTIONS

Essayons de comprendre et pour cela, essayons de poser les bonnes questions. Que s'est-il passé depuis 30 ans?

Le tournant est clair: nous sommes sortis de la Grande Inflation à la fin des années 70. Le monde économique est depuis caractérisé par un développement très important de la sphère financière - mais pour aller au delà du lieu commun il faut essayer d'être plus précis:

- l'inflation au sens d'augmentation des prix à la consommation a considérablement décru pour être remplacée par une inflation du prix des actifs. Entre le début des années 80 et 2009, les prix ont été mutipliés un peu moins de 3, tandis que le prix de l'immobilier à Paris a été à peu près multiplié par 5 hors inflation. Les bourses ont connu des hauts et des bas, mais la tendance est la même (CAC 40 multiplié par 4 en valeur réelle jusqu'à son haut de 2007, le Footsie multiplié par 4 entre 1984 et aujourd'hui, Dow multiplié par 8 en valeur courante sur la même période).
- une recherche de rendements élevés pour les fonds investis, en recourant à des techniques de plus en plus sophistiquées dans l'espoir d'échapper à la loi d'airain qui veut que le rendement rémunère le risque et lui sont donc proportionné. Cette recherche de rendement élevés des fonds investis s'est traduite par une exigence forte de profitabilité des entreprises non-financières, rentabilité opérationnelle ou accroissement de la valeur de marché par des opérations d'achat-revente.
- un endettement public et privé important et surtout un recours de plus en plus massif à l'endettement pour améliorer le rendement des actifs, le leverage qui permet de turbobooster les rendement des capitaux investis. On se rend progressivement compte que l'exigence d'une rentabilité de 15%, bien au-dessus de la norme historique, ne peut être atteinte sans recours à ce type de leverage.

La combinaison d'inflation des actifs, de rendements élevés, grâce à un recours à l'endettement important par le biais d'une sophistication des techniques financières croissante a permis une prospérité pour le moins frappante de la sphère et de ses acteurs.
Cette prospérité a eu elle-même plusieurs conséquences. Peut-être après tout l'inflation des actifs a été en partie une conséquence de ce phénomène plutôt qu'une cause. Prenons l'exemple des grands crus: s'agit-il d'un investissement (http://www.cairn.info/revue-economie-et-prevision-2003-3-page-93.htm) ou d'une manière de célébrer des deals juteux?! Idem pour les maisons à Londres, dans les Hamptons ou ailleurs.

Autre conséquence: la prospérité du secteur a évidemment attiré les éléments les plus talenteux de plusieurs générations, sur tous les continents, d'une certaine façon au détriment de l'industrie censée être à l'origine de la création de valeurs. C'est d'ailleurs un spectacle un peu triste de voir des cohortes de jeunes traders désoeuvrés, mais toujours arrogants (voir le post 1815) en mal de reconversion après les déconvenues des 6 derniers mois.
Collectivement, cette attractivité du secteur lui a donné toutes les formes d'une hégémonie. Attirant les talents, dictant les normes de l'industrie, élaborant la doxa socio-économique. La recherche a progressivement été déplacée d'organismes universitaires ou publics vers les institutions financières privées. Plus généralement, il était devenu difficile de penser différemment de cette orthodoxie - tout du moins si l'on restait à l'intérieur du capitalisme libéral.

Mais tout cela reste encore à la surface: quels sont les ressorts profonds de cette évolution? En quoi est-elle historiquement originale (pas si sûr!)?
Les causes immédiates sont connues: déreglementation des marchés (les "big bangs" des années 80); le progrès des techniques, en particulier de la rapidité de l'information et de la puissance de calcul, sans oublier les progrès de la mathématique financière. Mais il ne s'agit que ne conditions permissives, non de causes réelles.
Les questions restent entières, ouvertes.

samedi 2 mai 2009

Manne

Parler de manne quand il s'agit de subventions étatiques est l'un des tics les plus agaçants du journalisme français. Au delà de l'agacement, il y a toute une vision du monde à l'oeuvre: l'argent de l'Etat vient d'ailleurs, un ailleurs surnaturel et divin. Il ne peut en aucun cas s'agir du nôtre! Ni même de celui de notre voisin: il vient du Ciel. Il est créé pour être inépuisable. Il se déverse sur les justes, ceux qui l'ont mérité par leurs tribulations et pérégrinations. A la limite, les justes se reconnaissent à ce qu'ils bénéficient de la manne. Les autres, ceux qui travaillent le sol, et gagnent leur vie par leur travail et leur entreprise, appartiennent à la caste maudite de Caïn, condamné à travailler le sol pour subsister.
Quel contraste avec la vision (disons anglosaxonne) qui identifie clairement l'argent public à celui du public, celui de la communauté. Je me souviens des critiques acerbes des syndicats britanniques craignant de voir gaspiller "the taxpayer money", ayant bien conscience qu'il s'agissait du leur, de celui de leurs adhérents. Dans la bouche de nos syndicats français on n'entend jamais parler de "l'argent des contribuables" - horrible poujadisme!! Ils seraient d'ailleurs bien en mal de critiquer leur principal moyen de substistance, tout dénués d'adhérents qu'ils sont.
Cette vision divine et bénévolente de l'Etat est l'un des traits fondamentaux de la société française, au moins depuis le Roi Soleil (toujours les mêmes registre de métaphore, d'ailleurs). L'Etat, ce n'est pas nous, c'est une figure divine, supérieure aux intérêts particuliers, omnisciente, omnipotente, toujours juste qui peut féconder le desert industriel ou ressusciter les entreprises moribondes. Qu'importe que la pluie d'or qui nous tombe du ciel nous rende grosse de désastres comme Danée grosse des Danaides.

vendredi 1 mai 2009

Cassandre à côté de chez vous

Relisant l'article des Echos référencés dans mon précédent post: hallucinante analyse prémonitoire des limites des analyses de la méthode VaR (value at Risk) communément utilisée par les acteurs de marchés jusqu'en 2008 - tenue pour en partie responsable de la crise.
Le point essentiel de cette critique est la sous-estimation de la récurrence d'événements considérés comme très improbables (ce qui est aussi une partie de l'argumentation de N. Taieb et de son "fooled by randomness").

J'ai lu quasiment le même article il y a quelques semaines dans The Economist http://www.economist.com/specialreports/displaystory.cfm?story_id=12957753

http://www.nakedcapitalism.com/2009/01/woefully-misleading-piece-on-value-at.html

Mise au point

Les posts qui précèdent peuvent apparaître comme uniquement focalisés sur la critique du système hyperfinanciarisé, implicitement tenu pour responsable de la crise.

Mais si critique il y a, c'est au sens strict du terme d'une volonté de comprendre ce qui se passe autour de nous. nihil mirari, nihil admirari, sed intelligere, disait Spinoza (en vérifiant cette citation, je tombe sur un article des Echos s'interrogeant sur l'efficience des marchés financiers du 3 mai... 2000!!!: http://archives.lesechos.fr/archives/2000/LesEchos/18145-144-ECH.htm).

Volonté de comprendre encore une fois sous-tendue par la conviction que la critique externe n'a pas de prise sur la réalité ou engendre des actions plus dommageables que la réalité quelle entendait corriger.

Pour être concret: quelle absurdité de demander plus de régulation quand la régulation actuelle a échoué? à quoi sert de demander plus de régulation quand on ne sait pas qui peut dire cette régulation, et lui donner force de loi? Comment plaider pour une instance mondiale de régulation quand les instances mondiales existantes donnent des spectacles aussi affligeants que celui de Durban II? Quelle est l'instance démocratique que l'on peut sérieusement considérer pour ce rôle, impartiale, omnisciente et omnipotente -si pure et parfaite qu'elle échapperait à la loi d'airain des bureaucraties? On est dans le même ordre de fantasmes que celui auquel appartient le marché pure et parfait: à l'Etat impartial répond le marché efficient.

Ajoutons à cela un autre plaidoyer: ne balayons pas d'un trait toute la réflexion entamée depuis les années 60 sur la complexité sociale. Critique "de gauche" qui a renouvelée la pensée libérale critique de l'ingénierie sociale: depuis l'identification de la "Tyrannie des petites décisions " (microdecisions and macrobehaviours) jusqu'à la pensée d'Egdar Morin.
Plus que jamais, il faut ré-explorer les chemins complexes de la pensée de l'auto-organisation.(http://en.wikipedia.org/wiki/Self-organization#Self-organization_in_human_society).