samedi 9 mai 2009

Histoires d'épargne

Si l'on poursuit l'intuition de ma "petite théorie portative" (voir post du 27 avril 2009), il faut regarder du côté des mouvements de l'épargne.

Jusqu'en 1945, l'avenir de chacun était assuré par sa descendance directe. L'espérance de vie étant réduite, la charge pesait modérement sur les épaules des enfants eux mêmes assez nombreux.
Première rupture avec les leçons tirées de la crise de 29 et l'extension du fordisme: il ne suffit pas d'assurer un salaire décent et stable (même en cas de chômage) au travailleur durant ses années actives, il faut lui assurer une vieillesse décente. Il sera donc pris en charge from craddle to grave, et son épargne sera gérée de manière intelligente, par l'Etat. Plutôt que d'être thésaurisée, elle sera mobilisée au service des investissements d'aujourd'hui qui financerons les pensions de demain. Plus que le marché et les financiers qui ont prouvé leur ineptie en nourissant la crise, c'est l'Etat, ses institutions financières para-publiques et les entreprises nationales qui assurent l'efficacité du circuit et l'équilibre présent-avenir.

Ce mécanisme s'est détraqué de son propre effet: il est en effet générateur d'inflation, à force de tirer un chèque sur l'avenir. Ajoutés à cela les désordres monétaires internationaux et les diverses guerres américaines, on a la Grande Inflation démarrant dans les années 60. D'autres facteurs ont contribué à la Crise de l'Etat Providence, à commencer par l'allongement de l'espérance de vie, et la réduction de la natalité qui perturbe fortement, on le sait, l'équilibre entre les cotisants et les bénéficiaires dans un système de retraite par répartition.
La crise n'est cependant pas limitée aux systèmes de répartition ou à l'Etat providence dans ses figures les plus emblématiques. Les USA sont touchés alors qu'ils ont beaucoup plus fait confiance aux marchés pour répondre à la même demande sociale de protection de la vieillesse.


Les fonds de pensions se sont donc construits pour préparer un transfert de l'épargne actuelle en revenu futur.
Cet objectif simple implique une transformation profonde: il faut que l'argent d'aujourd'hui soit au minimum préservé, c'est à dire que le taux d'intéret réel à long terme soit durablement positif. Dans la mesure où seule une partie du revenu actuel peut être épargnée, il est préférable que la rémunération de l'épargne soit suffisamment élevée pour assurer une retraite convenable, rémunération qui peut être fournie soit par des Etats (moins risqué, mais rendements médiocres), ou des entreprises (mais dont la rentabilité interne doit être très élevée pour permettre ces rendements), ou par l'accumulation de biens dont l'usage ou la cession financera la période inactive). Il y a donc à la fois une pression pour une rentabilité inédite des entreprises, et de manière plus générale à la "création de valeur" se traduisant par un accroissement des actifs, et à l'inflation des actifs.

La phase dans laquelle nous sommes rentrés est peut-être différente. Les classes les plus nombreuses arrivent à l'âge de la retraite. Elles peuvent normalement donc cesser d'épargner: elles ne cotisent plus (épargne publique), elles liquident leur patrimoine (en France, on dit bien "liquider sa retraite"), pour vivre leur vie ou faire des cadeaux autour d'eux. Le couple vend le grand appartement à Paris pour ne garder que la résidence secondaire, et acquiert un "pied à terre" - puis on vend le pied à terre pour financer la maison de retraite quand la mobilité disparait - tandis que la résidence secondaire est donnée aux enfants ou, plus souvent, aux petits-enfants.
Il y a donc, peut-être, l'amorce d'un mouvement de désepargne, et donc d'une pression à la baisse des actifs. En revanche, l'inflation restera l'ennemi en ce qui concerne les revenus.

Ce mouvement sera cependant insignifiant à l'échelle mondiale si l'accumulation vertigineuse des économies asiatiques ne s'interrompt pas. On a en effet assisté à un mouvement (je crois) sans équivalent dans l'histoire économique mondiale: la construction d'économie sortant de la pauvreté mais dégageant tout de meme des volumes d'épargne considérable. Il faudra y revenir. On ajoute, pour mémoire, l'énorme apport d'épargne venant des pays sans économie propre détenteurs de matières premières.

En résumé: si le premier mouvement, qui concerne les sociétés occidentales, et qui compte autant du point de vue psychologique et politique qu'économique ne détermine pas un renversement de tendance, et si les deux autres (épargne asiatique, prix assez élevés des matières premières) ne s'affaiblissent pas, eh bien le monde tel que nous l'avons connu dans les dernières années ne changera pas. Le poids des marchés financiers (et donc les excès qui s'y attachent) ne changera pas parce le monde continuera d'en avoir le même besoin.

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