On connait le concept: le fordisme est cette combinaison de production industrielle intensive, de hauts salaires et d'activation de la consommation qui a caractérisé les sociétés "développées" au XXème siècle. L'intensification de la production découlant du taylorisme et du progrès des techniques crée un risque de surproduction faute de débouchés solvables. C'est le génie d'Henry Ford d'avoir compris que ses ouvriers allaient être aussi ses clients, et que la Ford T accessible à tous devait s'accompagner de hauts salaires. La crise de 1929 doit se comprendre en grande part comme l'avénement du fordisme généralisé, et Keynes le théoricien de cette nouvelle ère. Le monde avait couru à sa perte faute de consommateurs solvables, il fallait y remedier par une politique de hauts salaires, de filets de protection sociaux et d'investissement étatique. Cette consommation doit être mobilisée par le marketing et la publicité. Keynes rompt avec 4 siècles d'éthique protestante (mais pas avec l'humour anticonformiste anglais!) en condamnant l'esprit d'épargne. L'économie du désir est plus que jamais au coeur du capitalisme.

Evolution du taux d'épargne des ménages américains
Le fordisme a grosso modo tenu le choc jusque dans les années 1970, moment à partir duquel il est entré en crise (la crise de l'Etat providence en étant l'un des aspects). Dans une certaine mesure, le monde est alors entré dans une nouvelle phase, celle du fordisme sous amphétamines. Face à une production sans cesse plus efficace, et à un désir consumériste toujours plus intense, comment soutenir la consommation? Comment permettre en même temps la consommationd'aujourd'hui et la consommation décalée, celle de la retraite des baby boomers? Il ne suffit plus de liquider l'épargne d'aujourd'hui, il faut hypothéquer celle de demain, vivre à crédit en s'endettant massivement, soit à l'égard du système bancaire (subprimes et cie), soit à l'égard des générations de demain (déficits publics, sous provisionnement des engagements de retraite), soit en mettant les entreprises en surrégime (LBOs, surémunérations).
L'histoire des 30 dernières années est donc celle d'un système qui lutte pour sa survie par une fuite en avant dans l'endettement.Il est d'ailleurs frappant de comparer l'effondrement de l'épargne des ménages (américains) et la stabilité de la répartition de la valeur ajoutée entre profit et salaires. Ce n'est pas la baisse (relative) des salaires qui est la cause de la crise, mais la substitution de l'endettement à la rémunération de l'activité dans le financement de l'expansion.

Partage de la valeur ajoutée en France
Mais il faut faire un zoom arrière et reprendre les grandes dates clé pour arriver à une compréhension plus globale.
On a déjà mentionné la première date: Eté 79, coup d'arrêt donné à l'inflation et démarrage de la grande inflation des actifs, taux d'interet positif et explosion de l'économie d'endettement (voir mon post "petite théorie portative", du 27 avril)
Deuxième date: 1980, Deng Xiao Ping (鄧小平) crée les Zones Economiques Spéciales et lance la course de la Chine vers l'expansion économique. En schématisant, des centaines de millions de paysans ont quitté leur emploi rural peu productif pour se diriger dans les usines - d'où un saut massif de la productivité mondiale assimilable aux fantastiques gains des usines Fordiennes. La Chine (et le reste de l'Asie) est devenu l'usine du monde - mais sans développer une demande interne à la hauteur de ce véritable Bond en Avant. Sourds aux sermons keynésiens, les Chinois ont globalement épargné leurs gains et ont financé leurs clients en leur prêtant à découvert. Le développement de la demande interne chinoise est clairement un des enjeux fondamentaux pour une sortie durable de la crise. Mais on pressent aussi que la dictature chinoise n'a pas nécessairement envie de voir se construire une classe moyenne sociale démocrate - il y a plutot une alliance objective entre le pouvoir et un patronat victorien (auquel les portes du Parti sont désormais ouverte).
Troisième date: 29 décembre 1989, le Nikkei atteint 38 957 et la bulle éclate. On le sait les années 90 sont celle de la lost decade pour les Japonais - je me souviens de l'impression physique que rien n'avait bougé depuis 10 ans quand je suis retourné au Japon en 2000. Une des causes de la bulle était l'excès de prêts non performants à des entreprises en réalité peu compétitives (cf André Gosselin http://www.finance-investissement.com/nouvelles/recherche/la-le-on-japonaise/a/nouvelles/recherche/la-lecon-japonaise/a/20558/print) . Pour "lutter" contre la crise, l'establishment japonais a d'abord agiter le drapeau keynésien, pratiqué un déficit abyssal, prodigué l'argent public largement détourné par les politiciens du PLD. Les taux d'intérêt réel sont tombés à zero, après quoi les vannes de la création monétaire (qualitative easing) ont été ouvertes, avec un série de reprises peu durables, et une grave rechute depuis septembre avec la destruction du carry trade.
En résumé, on a en Occident, une double demande d'actifs (pour la retraite) et de consommation immédiate. En Chine une surproduction productrice d'épargne, et au Japon une production de liquidités avec maintien d'une épargne élevée et des entreprises de moins en moins efficaces. C'est sans doute dans cette série de déséquilibres que la crise prend sa naissance.
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